Ocean Gardener : interview de Vincent Chalias

Posté le 11 août 2018 par

Vincent Chalias, précurseur de la coralliculture en Indonésie et de l’ONG Ocean Gardener répond à nos questions !

Récifal News – Bonjour Vincent, tu es un aquariophile expatrié en Indonésie et tu travailles dans une ferme corallienne depuis déjà quelques années, pour faire court. Mais, pourrais-tu nous en dire plus sur ton parcours et ce qui t’as amené ici ?

Vincent – Bonjour, ça fait maintenant 20 ans que je suis en Indonésie où j’ai travaillé pour un gros importateur. J’ai monté la première ferme de mariculture de corail commerciale en Indonésie. Après des études d’Aquaculture Marine au CREUFOP à Sète, j’ai fait mon stage de fin d’études pendant un an dans une société qui exportait des poissons tropicaux marins du Kenya. C’est là que j’ai appris les ficelles du métier. Ensuite je suis rentré en France où j’ai travaillé chez un importateur du Sud de la France, de l’autre côté de la chaîne.

J’ai commencé à travailler pour ce gros importateur pour faire du contrôle qualité. J’ai sillonné tous les pays asiatiques fournisseurs de poissons d’ornement. J’étais basé à Bali, et comme je suis issu de l’aquaculture marine, j’ai toujours eu comme but de produire les animaux au lieu de les collecter. C’est là et contre l’avis de tous, incluant mon employeur et ses fournisseurs, que nous avons commencé la culture de corail en mer pour le marché aquariophile. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et maintenant il y a plus d’une cinquantaine de compagnies en Indonésie qui le font. Ce n’est pas quelque chose dont je suis tellement fier étant donné la situation.

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Vincent Chalias est à la base de la première ferme de culture de coraux en Indonésie (crédit photo : Ocean Gardener)

 

Récifal News – Je suppose que partir à l’autre bout du monde pour faire de la coralicuture relève de la passion non ? As-tu toujours le temps et l’envie de maintenir un aquarium chez toi ?

Vincent – Alors oui, j’ai toujours la passion de l’aquariophilie. Malheureusement, je n’ai pas forcément le temps de m’en occuper. On a maintenant des bassins de production de coraux d’élevage à terre, ce qui remplit presque complètement mon potentiel aquariophile. J’ai aussi un petit aquarium d’eau douce, planté amazonien à la maison. Je vois des coraux toute la journée, donc le soir je préfère la douceur verte des plantes aquatiques.

Ensuite quant à l’envie de partir à l’autre bout du monde ; vous savez lorsque le poste au Kenya a été proposé à toute une classe d’étudiants en aquaculture marine, personne n’a levé la main. Et j’avoue que sans l’influence de personnes de mon entourage dont mon maître de stage de l’époque, je ne serais probablement pas parti.

 

Récifal News – Est-ce que tu vois une différence en terme d’approche de l’aquariophilie entre les français ou même les européens et les indonésiens ?

Vincent – Alors, chaque zone géographique est différente. Les Japonais ont des petits aquariums, faute de place. Ensuite ils sont puristes, ils n’aiment pas les poissons hybrides par exemple, alors que les Chinois les adorent. Les Japonais aiment représenter un écosystème particulier, ou faire un bac que d’Acropora ou de Montipora. Les Chinois sont collectionneurs et font des bacs uniquement pour des poissons anges, ou pour exposer une collection de coraux. Ils ne représentent aucun écosystème et exposent leur collection. Ils aiment les hybrides, les malformations … tout ce qui sort de l’ordinaire.

Les Américains, sont dans la rareté. Et un peu comme les Chinois, ils aiment exposer leur collection. Les Américains, adorent les anges et les poissons chirurgiens, alors que ces mêmes chirurgiens ne sont pas très populaires en Asie.

Les coraux sont les plus populaires aux US, car le marché accepte des choses différentes, qui atteignent des prix importants. Les gens ont intégré le fait d’acheter des coraux de petite taille et de les faire grossir et il y a maintenant un grand nombre de fermes locales qui cultivent ces coraux. J’espère que cela viendra en Europe. Les Européens, sont des puristes dans la technique, ils veulent un pan de récif dans leur salon, avec les coraux les poissons, le sable … bref l’aquarium récifal, alors qu’aux Etats-Unis, il y a une grosse partie des clients qui n’ont qu’un aquarium à coraux, ou les quelques poissons sont juste là pour entretenir l’aquarium.

Bref, il y a énormément de différences selon les cultures, les approvisionnements, les lois en vigueur …

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Les Américains sont à la recherche de la pièce rare quittes à en mettre le prix ! (crédit photo : Ocean gardener)

 

Récifal News – Les fermes indonésiennes font partie des premières à avoir développé la culture de corail sur table. Peux-tu nous en dire plus sur cette technique ? Comment on-t-elles vue le jour là-bas ?

Vincent – On a commencé en 2000 et ce n’est qu’en 2005 que la législation a fini par se mettre en place. Nous avons créé les premières fermes, mais cela a pris 5 ans de lobby intensif des institutions, notamment de la CITES, car il fallait définir la coralliculture : en mer, en mer avec des colonies mères, à terre … Il a fallu mettre en place toute la législation qui encadre cette activité. De l’obtention des colonies mères, jusqu’aux méthodes de calcul selon les espèces pour calculer des plans de production, aux inspections …

Au début, aucun de nos fournisseurs et même l’importateur pour lequel je travaillais n’y croyaient. J’ai fini par faire les premiers essais moi même avec l’aide du directeur des pêches et de quelques pêcheurs du sud de Bali. Ce n’est qu’après 6 mois, et la première production, que tout s’est emballé. Presque trop emballé, puisqu’il y a maintenant plus d’une cinquantaine de sociétés qui ont la licence. Et cette surpopulation a créé des dysfonctionnements, qui sont probablement au cœur des problèmes auxquels nous faisons face maintenant.

La coralliculture permet de faire travailler les populations locales et préserver les ressources naturelles. (crédit photo : Ocean gardener)

 

Récifal News – Est-ce que ces cultures sont les mêmes en Australie / Fidji etc. si tu as eu l’occasion de visiter ?

Vincent – pour l’Australie, à part quelques fermes à terre et une concession dans une île reculée de l’ouest Australien, ils ne font pas culture. Lorsqu’un corail est collecté sur le récif, il ne peut pas être déplacé, il doit être enlevé. Ils ne peuvent donc pas faire de mariculture. La législation s’y oppose.

Pour Fidji, la technique utilisée est la même sauf que c’est du ‘ranching’, ils n’ont pas de colonies mères, comme nous, mais prennent directement des fragments sur des colonies naturelles qu’ils cultivent ensuite sur tables.

 

Récifal News – Depuis le début du mois de mai, l’exportation de coraux sauvages et même de culture est bloquée. Comment vivez vous la situation sur place ?

Vincent – La situation est très délicate car des fermiers qui cultivaient des coraux depuis plus de 15 ans doivent maintenant trouver d’autres sources de revenus. Donc, les fermes sont laissées à l’abandon et comme ces pêcheurs ont oublié les techniques de pêche qu’ils utilisaient, et on un besoin pressant de ressources, ils se tournent malheureusement sur des techniques peu regardantes de l’environnement. C’est une véritable catastrophe !

Ce qui est le plus frustrant dans l’histoire, c’est qu’au final ce n’est qu’un problème politique.

 

Récifal News – Avez-vous des informations en tant qu’acteurs directs concernant une potentielle reprise des exports ? Et même avez-vous un quelconque poids administratif (comme aux Fidji) ?

Vincent – Les informations que l’on a sont très floues car l’interdiction ne repose sur aucun texte de loi et l’agenda est purement politique.

Une fois les objectifs politiques remplis, l’export reprendra.

 

Récifal News – Comment expliquer l’arrêt soudain des exports même sur les coraux de culture ?

Vincent – La décision fait suite à une série de saisies d’envois illégaux et de contournement de réglementations, mais est politiquement motivée.

 

Récifal News – Nous voyons de plus en plus de documentaires sur la mort des récifs coralliens. Vois-tu cela d’un œil si alarmiste sur place ?

Vincent – Bien sûr, il y a 2 ans, nous avons perdu 100 % de 2 fermes. Cette année nous nous battons encore contre une explosion de mollusques parasites (Drupella sp), tout découle du blanchiment de 2016 et affectent les autres fermes. La montée de température, en plus de tuer directement les coraux, crée des blooms de phytoplanctons qui entrainent ensuite des explosions de parasites. Même les récifs qui n’ont pas été touchés par le blanchiment, souffrent de l’explosion de parasites qui suit.

Table de 15 ans d’âge ! (Crédit photo : Ocean gardener)

 

Récifal News – Constates-tu ce genre de pandémie dans toutes tes fermes ? Ou est-ce seulement localisé ?

Vincent – Ici en Indonésie, les blanchiments sont très localisés. Sur les récifs en bonne santé, il ne se passe pas grand chose. Ce sont les récifs qui sont déjà bien endommagés qui subissent les plus grosses pertes. S’il y a déjà un stress, la montée de température est la goutte qui fait déborder le vase. Mais si les coraux ne sont pas stressés, ils résistent plutôt bien.

On maintient toutes les souches sur plusieurs sites, mais on se rend compte que la majorité des récifs autour de Bali sont maintenant trop endommagés pour résister correctement. Le bétonnage intempestif du littoral n’est pas prêt de se calmer.

La culture de corail à Bali est vouée a disparaître pour se concentrer sur des îles plus éloignées et moins développées. Ce qui va faire augmenter les coûts.

 

Récifal News – Récemment tu participes aux projets d’Ocean Gardener, pourrais-tu nous en dire plus?

Vincent – Alors Ocean Gardener est une ONG, à but non lucratif, qui a pour objectif de faire en sorte que certaines fermes ne s’arrêtent pas et que les pêcheurs puissent continuer à vivre de la culture de corail.

Les fermes sont un formidable outil pédagogique pour toucher le plus de monde possible. Si on veut faire changer les mentalités, il faut éduquer les gens, c’est ce qu’on essaye de faire. On reçoit des gens qui s’intéressent aux coraux, on leur apprend ce qu’est le corail, comment s’en occuper, les menaces … tout cela dans l’eau. Sur ce site, nous avons des récifs artificiels de plus de 18 ans, gros comme un camion. Il faut s’en occuper.

Ensuite, comme je l’ai dit avant, un récif qui n’est pas stressé résiste plutôt bien aux montées de températures. Et on espère qu’il aura le temps de s’adapter. Donc, si un bout de récif est entretenu, pas pêché, nettoyé des plastiques, ou les parasites sont enlevées, ou des coraux sont replantés, les zones abimées seront rapidement restaurées. Ce récif a de plus grosses chances de survivre.

Donc, voilà on essaye juste de sauver quelques récifs.

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Récifal News – Cette structure est-elle la prolongation directe de la culture sur table ?

Vincent – Oui, puisque c’est grâce à l’aquariophilie récifale, que les récifs de Candidasa sont en bonne santé et on une chance de le rester. Si ces pêcheurs il y a une quinzaine d’année n’avaient pas eu la coralliculture pour subvenir à leur besoins, ils auraient continué à pécher le lagon en utilisant des méthodes très néfastes.

Je ne crois pas à la protection simple. Cela ne marche pas dans le tiers monde. Si les populations locales n’ont rien à manger sur la table, vous ne pouvez pas leur demander de ne pas pêcher …

Et les parcs marins en sont le meilleur exemple … Ils sont mal protégés, tous les budgets sont siphonnés avant d’arriver sur le terrai, et tout le monde pêche et braconne. Et on voit bien l’état de ces parcs marins aller de pire en pire. Alors que sans protection, des populations locales qui obtiennent une source de revenue, par la culture, le tourisme … finissent par protéger eux même leurs ressources et ces récifs font une résurrection.

 

Récifal News – On peut voir beaucoup d’actions différentes, actuellement sont-elles uniquement localisées en Indonésie ?

Vincent – Il y a des actions menées dans le monde entier, l’Australie, Hawaï, la Floride et le Japon se concentrent sur la recherche, et les autres pays moins développés sur des missions écologiques.

Merci pour le temps que tu as consacré à nos lecteurs, un petit mot pour eux ?

Cela fait 25 ans que je travaille de l’autre côté du décor. Et après 25 ans, j’avoue que le constat est amer. Et je suis persuadé que le principal problème de notre hobby, reste les prix. Une demoiselle vivante qui vient de l’autre côté du globe et qui est vendue 10 € en boutique, est malheureusement ce qui tue notre passion. Les poissons ou les coraux d’aquarium, sont des animaux vivants, et malheureusement, on ne peut pas utiliser les mêmes contraintes commerciales que dans n’importe quel autre produit. La course au moins cher, oblige a prendre des raccourcis qui finissent pas détruire ce métier. Et à la fin, tout sera interdit. Donc c’est une passion chère et il faut qu’elle le reste malheureusement, sinon elle disparaîtra.

Pratiquons une aquariophilie raisonnée pour la survie de cette passion !

Retrouvez toutes les actions d’Ocean Gardener sur leur site internet.

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