Une explosion d’espèces de Cirrhilabrus grâce aux variations de niveau des océans
Dans une récente publication notre ami, le professeur Yi-Kai Tea et son équipe de l’université de Sydney, ont mis en évidence que la grande diversité et l’explosion de couleurs qui va avec, chez les Cirrhilabrus, est due à la lente croissance et décroissance des calottes glaciaires et des glaciers. Le genre Cirrhilabrus est le genre le plus diverse, chez les labres, elle-même la seconde plus grande famille de poissons marins.
En faisant une analyse génétique de 39 espèces de Cirrhilabrus qui détaille les quelque 12 millions d’années d’évolution qui ont produit ce vaste assortiment de formes, de couleurs et de comportements, ils ont montré que ces transformations menant aux 60 espèces de labres sont le résultat des changements cycliques du niveau de la mer au cours des derniers millions d’années.
Les Cirrhilabrus ont divergé des autres labres il y a environ 12 millions d’années à l’époque du Miocène. Mais de nombreuses espèces de Cirrhilabrus sont apparues il y a seulement environ 1 à 3 millions d’années, au Pléistocène et à la fin du Pliocène. Les Cirrhilabrus semblent avoir d’abord évolué dans le Triangle de corail, une région à la biodiversité exceptionnellement élevée des récifs coralliens dans l’océan Pacifique occidental. De là, les poissons ont explosé sous de nombreuses formes criardes, s’étendant jusqu’à la côte de l’Afrique de l’Est et jusqu’à la Polynésie française, une étendue géographique d’environ 17 000 kilomètres. Cette évolution rapide est directement liée à l’histoire géologique de la région.
L’archipel indo-australien se trouve au confluent des bassins de l’océan Indien et de l’océan Pacifique – aujourd’hui, un archipel d’îles suspendues entre l’Asie et l’Australie. Tea décrit cette frontière comme une «barrière douce», les espaces entre les îles permettant parfois aux espèces marines de passer dans le royaume océanique voisin.
Mais lors du Pliocène et du Pléistocène – lorsque de nombreux Cirrhilabrus se sont diversifiés – les périodes glaciaires ont radicalement changé ce paysage marin. Lorsque l’eau s’est enfermée dans des expansions de calottes glaciaires et de glaciers, le niveau de la mer a chuté, transformant les récifs peu profonds en ponts terrestres. De tels changements ont peut-être permis aux ancêtres humains d’accéder à l’Indonésie et à l’Australie, mais ils ont également coupé le mouvement de la vie marine. Cet isolement a favorisé l’évolution de nouvelles espèces de part et d’autre de la barrière.
Lorsque les glaciers ont à nouveau fondu, les eaux sont remontées et les poissons ont pu à nouveau se mélanger. La montée et la descente des mers pourraient agir comme une «pompe à espèces», explique Tea, créant de nouvelles espèces de Cirrhilabrus et les rejetant dans le monde chaque fois que la barrière se dissout. L’équipe estime que les Cirrhilabrus se sont infiltrés dans l’océan Indien au moins cinq fois de cette façon.
Les résultats s’inscrivent dans une image émergente de la région en tant que moteur de la biodiversité dans les mers tropicales. Les différences génétiques entre les populations de l’océan Indien et de l’océan Pacifique ont été documentées dans de nombreux invertébrés, mais rarement chez les poissons mobiles. De telles divergences sont des signes d’isolement temporaire de part et d’autre de l’archipel indo-australien.
Les rituels d’accouplement élaborés des Cirrhilabrus pourraient aussi expliquer pourquoi il existe tant d’espèces différentes, dit Tea.
Étant donné que les labres vivent dans de grands bancs d’espèces mixtes, les mâles subissent une pression supplémentaire, non seulement pour attirer un partenaire, mais aussi pour s’assurer qu’elle appartient à la bonne espèce. Une performance avec un arrangement reconnaissable de couleurs – et dans certains cas, la fluorescence, ou un allongement des premiers rayons de la nageoire dorsale, la forme de la caudale et même une disparition des nageoires pelviennes – serait utile. Faire un effort supplémentaire pour trouver la bonne espèce peut rendre les croisements moins probables, mais encourage également l’isolement reproductif. Au fil du temps, de petits changements génétiques s’accumulent dans chaque groupe isolé, de sorte que les deux labres deviennent des espèces fondamentalement différentes, dans leur ADN, leur apparence et leur comportement.
Ces modèles de fluorescence et de couleurs sont très spécifiques à chaque espèce», explique Tea, qui explique qu’il reste des «tas» de choses à explorer sur les Cirrhilabrus, en particulier en ce qui concerne la façon dont ils choisissent leurs partenaires et l’évolution de leurs couleurs. Cette étude prendra probablement toute une vie. Merci professeur Tea pour cette dedication.