Les abeilles des récifs
Après la publication concernant la reclassification parmi les Pomacentridae, dont les Premnas et Amphiprion, une autre publication très intéressante nous est passée sous les yeux. Il s’agit cette fois d’une étude, réalisée à Moorea en Polynésie Française, qui a étudié le rôle des poissons prédateurs des polypes de coraux durs dans la dispersion des algues symbiotiques de ces mêmes coraux durs.
Étude complète sur Animal Microbiome.
Petit rappel
Les coraux sont des espèces clés qui créent la structure même des récifs coralliens. Ces cousins des anémones créent un squelette de carbonate de calcium, au fur et à mesure de leur croissance. Ils vivent en partenariat avec des algues symbiotiques microscopiques, se multipliant grâce à la photosynthèse, faisant partie des dinoflagellés (famille des Symbiodiniacea) appelées zooxanthelles (LaJeunesse et al., 2018). Les coraux comptent sur leurs symbiotes pour leur fournir des nutriments clés tandis que les coraux protègent ces algues microscopiques à l’intérieur de leurs tissus.
Comment cette relation se met en place ?
Les coraux peuvent établir leur relation avec la Symbiodiniacea de deux manières principales : soit en les recevant de leurs parents, soit en les recevant de l’environnement. La densité de ces microalgues peut être très faible dans l’eau environnant les coraux, ou elles peuvent se faire enfouir sous les sédiments. Cependant, capturer des zooxanthelles présentes dans l’environnement est bénéfique aux coraux car ces algues sont adaptées aux conditions environnementales de cette zone, surtout dans le contexte actuel où les perturbations du milieu sont fortes et fréquentes. Alors que les sources environnementales de ces algues ont déjà été étudiées, cette nouvelle étude a trouvé des preuves solides de la façon dont les poissons peuvent jouer un rôle dans la distribution de ces algues symbiotiques.
Travaillant à Moorea en Polynésie française, Grupstra et al. (2021) ont examiné comment différents types de poissons peuvent jouer un rôle dans la répartition des symbiotes sur un récif. Ils ont examiné plusieurs espèces qui se nourrissent réellement de coraux (corallivores) dans le cadre de leur régime alimentaire, y compris des espèces qui se nourrissent exclusivement de coraux (obligatoires – principalement des poissons papillons), celles qui ne se nourrissent occasionnellement de coraux (facultatifs – en grande partie des poissons perroquets) et plusieurs herbivores (poissons chirurgiens) comme contrôle. Des études antérieures ont montré que la Symbiodiniacea peut survivre au passage à travers les entrailles de certains poissons (Castro-Sanguino & Sánchez, 2012) ; donc, pour savoir si tel était le cas, Grupstra et ses collaborateurs ont examiné les excréments de poissons fraîchement récoltés. Ils voulaient savoir si ces poissons pouvaient aider à distribuer la Symbiodiniacea à travers leurs déplacements.
Des trouvailles intéressantes
Ce qu’ils ont trouvé est très étonnant ! Des symbiodiniacées vivantes peuvent être trouvées dans tous les échantillons de corallivores obligatoires, plus de 80% des corallivores facultatifs, et même dans plus de 30 % des excréments des non-corallivores. Les corallivores obligatoires avaient des quantités 4 à 7 fois plus de symbiotes vivants dans leurs excréments que les échantillons de sédiments (SED sur la figure 1) ou d’eau (WAT sur la figure 1), et les corallivores facultatifs avaient également plusieurs fois la concentration naturelle de Symbiodiniacea vivants (Figure 1). Il semble que ces espèces aient une grande capacité à exporter des symbiotes vivants de leur alimentation vers d’autres coraux. Les auteurs ont même essayé de calculer le transfert approximatif des cellules de zooxanthelles des excréments de poissons. En mesurant les taux de décharge fécale et en combinant cela avec la densité de symbiotes vivants normalisée par volume de matières fécales, les auteurs ont pu estimer que des millions de symbiotes sont potentiellement libérés par les seuls corallivores obligatoires, enrichissant l’environnement de zooxanthelles qui pourraient être utilisées par les coraux.
Cette recherche met en évidence certaines questions importantes sur la façon dont nous appréhendons la corallivorie sur les récifs coralliens. On suppose généralement que c’est une mauvaise chose pour les coraux, car ces cicatrices peuvent les rendre vulnérables aux maladies. Cependant, dans une certaine mesure, la prédation sur les coraux pourrait être bénéfique pour un récif corallien dans son ensemble via ce mécanisme de distribution à travers les excréments de poisson. En se nourrissant de coraux vivants puis en distribuant leurs symbiotes à travers le récif dans leurs fèces, les poissons pourraient exposer les coraux à une variété et quantité de symbiotes potentiels plus larges que celles auxquelles ils seraient exposés en l’absence de poissons.
Après le blanchiment ou d’autres événements stressants qui tuent les coraux, ces poissons pourraient même aider à distribuer des symbiotes avec des adaptations à ces facteurs de stress en se nourrissant de coraux survivants, aidant potentiellement les coraux à récupérer plus rapidement. Beaucoup plus de travail est nécessaire dans ce domaine pour comprendre ce mécanisme, comment il fonctionne à l’échelle du récif, et si son effet est nettement positif ou non pour les coraux en tant qu’individus, et pour le récif dans son ensemble. Pour l’instant, nous en savons beaucoup plus sur le rôle que jouent les poissons pour répandre des symbiotes de corail autour du récif!